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Bénéfice des entreprises ou diversité des systèmes alimentaires ?


Un nouveau rapport dévoile les pressions que les entreprises et les gouvernements exercent activement en Afrique de l’Ouest pour l’introduction de semences commerciales, ainsi que les implications sur les droits et l’alimentation des populations.

En Afrique de l’Ouest, plus de 80% des semences utilisées par les communautés paysannes proviennent d’espèces et de variétés traditionnelles, qui sont sélectionnées, conservées, utilisées et échangées selon les pratiques coutumières. Bien qu’ils garantissent la diversité des systèmes alimentaires et les droits des populations rurales, ces systèmes semenciers paysans sont menacés, car les gouvernements, les entreprises et les agences de développement font activement la promotion des semences commerciales et des droits de propriété intellectuelle.

Un nouveau rapport publié aujourd’hui par le Réseau mondial pour le Droit à l’Alimentation et à la Nutrition et la Convergence Globale des Luttes pour la Terre et l’Eau – Afrique de l’Ouest décrit les mécanismes qui sous-tendent la transformation forcée vers des systèmes agricoles et alimentaires qui servent les intérêts des entreprises. Basé sur des discussions avec plus de 400 paysan-ne-s au Burkina Faso, le rapport met en lumière les profondes implications de l’introduction des semences commerciales sur la vie des communautés paysannes. Les conséquences vont de la perte des variétés paysannes à des modèles agricoles plus dépendants aux intrants externes, en passant par des régimes alimentaires moins variés.

Les semences commerciales mènent à la dépendance

« Les systèmes semenciers traditionnels sont basés sur les connaissances des communautés ainsi que sur les variétés qu’elles ont sélectionnées et constamment adaptées à l’environnement au cours des siècles », explique Rosalie Ouoba, de la Plateforme Burkina Faso Convergence Globale des Luttes pour la Terre et l’Eau – Afrique de l’Ouest. « Pour les communautés paysannes, les semences sont plus que du ‘matériel génétique’ et font parties intégrantes des relations qu’elles entretiennent avec la nature. Certaines communautés interrogées ont décrit les semences comme ‘l’âme du paysan’. Les femmes, et les femmes âgées en particulier, jouent un rôle crucial dans la conservation et la sélection des variétés traditionnelles ». En raison de leur adaptabilité, les semences paysannes sont également un enjeu clé des communautés pour faire face aux changements climatiques, alors que la pluie dans la région devient plus irrégulière.

Tandis que les systèmes semenciers paysans assurent le contrôle par les paysan-ne-s sur l’ensemble du cycle de production et d’utilisation des semences – leur conférant ainsi une grande autonomie et indépendance –, le système commercial génère le besoin d'acheter des semences et des intrants. Ceci, combiné avec des restrictions légales et/ou technologiques sur l’utilisation et la réutilisation des semences, augmente graduellement la dépendance des paysan-ne-s. De plus, les paysan-ne-s maintiennent une grande diversité d’espèces et de variétés grâce à leurs systèmes de semences, qui est à la base d’une alimentation et d’une nutrition riches et variées.

Les entreprises se « partagent le gâteau »

L’échec spectaculaire du coton génétiquement modifié au Burkina Faso met en lumière les conséquences d’un système de production dominé par quelques entreprises qui transforment les communautés paysannes en utilisatrices passives de semences et de produits agrochimiques, tandis que leurs activités agricoles sont limitées par des droits et brevets exclusifs. « L’introduction du coton génétiquement modifié a exacerbé le cycle d’endettement dans lequel les producteurs de coton se retrouvent au bas de la chaîne de valeur. Leur dépendance totale vis-à-vis des sociétés cotonnières nationales et des multinationales de l’agro-industrie, telles que Monsanto, ne leur laisse pas d’autre choix que de cultiver des OGM en utilisant les produits chimiques vendus par ces mêmes sociétés », souligne Philip Seufert, coordinateur du programme accès et contrôle des ressources naturelles de FIAN International. Jusqu’à aujourd'hui, aucune évaluation indépendante des conséquences de huit années de cultures d’OGM n’a été réalisée.

« Les droits des paysans aux semences sont garantis par le droit international, y compris le cadre des droits humains et le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation », poursuit M. Seufert. « Cependant, ces droits ne sont pas mis en œuvre et les États ont concentré leurs efforts sur l’exploitation du régime des droits de propriété intellectuelle, qui limite l’accès et l’utilisation des semences par les paysan-ne-s ».

Lutter contre une zone grise juridique

En effet, les obligations en matière de droits humains exigent que les États reconnaissent, protègent et soutiennent les systèmes semenciers paysans, préservent la biodiversité et protègent efficacement les populations contre les risques des biotechnologies. Cependant, les lois actuelles en Afrique de l’Ouest laissent le statut des semences paysannes et leur gestion dans une zone grise, ce qui les expose à la biopiraterie et les limite à des systèmes de semences dits «informels». En parallèle, les politiques nationales et sous-régionales favorisent la production industrielle de semences commerciales et la création d’un secteur semencier commercial.

Face à ces dynamiques, les mouvements sociaux et les organisations paysannes se mobilisent pour protéger leurs semences et faire progresser leurs droits, à travers des lois et des politiques basées sur l’agroécologie et le droit à l’alimentation. Des processus tels que celui de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales ou l’élaboration de directives pour la mise en œuvre du Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation (TIRPAA), constituent des espaces importants. La diversité des espèces et des variétés de l’Afrique de l’Ouest est un trésor qui a été développé et conservé par les communautés paysannes de la région, et dont l’importance s’étend l’ensemble de l’humanité.

Vous pouvez lire le rapport ici

NOTE À LA RÉDACTION :

Le rapport « Bénéfices des entreprises ou diversité des systèmes alimentaires ? Les menaces pesant sur les semences paysannes et leurs implications en Afrique de l’Ouest » est le fruit d’une recherche participative menée en 2017. Une mission de recherche internationale facilitée par la Convergence Globale des Luttes pour la Terre et l’Eau – Afrique de l’Ouest et FIAN au nom du Réseau mondial pour
le droit à l’alimentation et à la nutrition s’est rendue au Burkina Faso de mai à juin 2017. L’équipe de recherche a tenu des échanges avec 405 membres de 21 communautés paysannes dans trois régions du pays. Les dialogues avec les communautés paysannes ont été́ suivis d’entretiens réalisés avec des autorités de l’État burkinabè et se sont accompagnés d’une recherche documentaire.